Dossier ► Touching the Void


Étude d'un film documentaire
Touching the Void, de Kevin McDonald
Par Lili Canal

Touching the Void est un film documentaire réalisé par le cinéaste britannique Kevin McDonald (oscarisé en 1999 pour son documentaire One Day In September), sorti sur grand écran à l'échelle internationale en 2004. Une fois n'est pas coutume, le film n'a pas pour sujet l'étude d'une culture, d'une société, d'un homme ou d'un environnement, mais un fait divers. Et, qui plus est, un fait divers dit "à sensations" - le genre d'histoire qui donne généralement naissance soit à des reportages télévisés racoleurs, de qualité médiocre et sans aucun intérêt visuel, soit à des œuvres de fiction tendance "biopic", très à la mode au cinéma ces dernières années.

Un fait divers transposé de façon documentaire au cinéma reste une rareté, et Touching the Void est encore assez unique en son genre. Acclamé par la critique à sa sortie, récompensé par plusieurs prix et rapidement devenu célèbre, le film figure aujourd'hui en haut de divers classements des "Meilleurs films documentaires jamais réalisés". L'intérêt du public pour une telle œuvre aurait pu se limiter à son scénario - il faut admettre que l'histoire racontée par le film est en soi assez extraordinaire et continue à fasciner. Mais Touching the Void est aussi et surtout intéressant de par sa forme cinématographique et esthétique. De tous les documentaires que j'aie pu voir, celui-ci est sans nul doute celui où la forme est le plus étroitement liée au fond. Touching the Void n'a pas grand-chose à voir avec un documentaire à vocation informative ou didactique. Le réalisateur nous fait vivre une expérience puissante et viscérale, utilisant la forme pour nous emmener littéralement dans le film, nous faire vivre des sensations quasi-physiques. Mais pour comprendre comment le cinéaste a construit une œuvre aussi intense, il est tout d’abord nécessaire de s'attarder quelque peu sur son contenu, son histoire - le fameux fait divers, donc.

Le film, basé sur l'autobiographie éponyme de l'un des protagonistes, raconte une aventure humaine unique en son genre, survenue en 1985 et depuis devenue une légende dans le monde de l'alpinisme. Deux Britanniques, alpinistes chevronnés, Joe Simpson (alors âgé de 25 ans) et Simon Yates (21 ans), décident de grimper la haute montagne du Siula Grande, dans les Andes péruviennes, dont personne n'avait jamais gravi le sommet. Après une ascension sans difficultés majeures (mise à part une durée d'escalade plus longue que prévue due aux tempêtes de neige fréquentes), le drame se produit lorsque Simpson, en train de redescendre le versant de la montagne, tombe et se casse une jambe. Incapable de se tenir debout, il sait pourtant que le temps presse : les deux hommes ont épuisé leurs réserves d'eau et de nourriture et le mauvais temps menace une nouvelle fois. Yates et Simpson entreprennent alors de descendre la montagne encordés l'un à l'autre, Simpson se laissant glisser en aval de Yates puis ce dernier le rejoignant en marchant. Leur progression, bien que pénible pour Joe Simpson, se déroule de façon encourageante jusqu'à ce que Simpson, plusieurs dizaines de mètres en-dessous de son compagnon, tombe d'une corniche et se retrouve suspendu en l'air, seulement retenu par la corde le liant à Yates.

Ce dernier, incapable de savoir ce qui est arrivé à Joe (la visibilité est très mauvaise et le son de leurs voix ne porte pas assez pour communiquer), se demande seulement pourquoi la corde est si tendue et pourquoi Simpson ne donne pas de mou. Lentement entraîné vers le bas de la pente par le poids de Simpson, Yates comprend qu'il est probablement tombé dans le vide, et qu'il finira par y être attiré lui aussi. Sachant qu'une chute signifierait pour les deux hommes une mort certaine, Yates décide, en désespoir de cause, de couper la corde le reliant à Joe Simpson, sauvant ainsi au moins sa propre vie.

La mort dans l'âme, rongé par la culpabilité d'avoir abandonné son ami à son sort, Yates entreprend malgré tout de terminer la descente de la montagne, dans l'intention de rejoindre leur camp de base, établi dans la vallée et surveillé par l'un de leurs amis. Pendant ce temps, Joe est par miracle tombé non pas au fond de la crevasse, mais sur une corniche quelques mètres plus bas. Comprenant que Simon a coupé la corde et sans aucune possibilité de remonter le rejoindre, il sait que sa seule chance de survie est d'explorer le fond de la crevasse, espérant qu'il y ait un chemin menant vers la sortie. Commence alors un calvaire qui durera quatre jours, pendant lesquels Joe, seul et blessé, va utiliser son énergie et son instinct de survie pour tenter de rejoindre à son tour le campement. Le froid, la faim, la soif et le désespoir font que son état physique et mental se dégrade rapidement, et le périple de Joe est aussi extrême dans sa tête qu'à l'extérieur.

Finalement, alors qu'il est sur le point de mourir d'épuisement, en proie à de violentes hallucinations, Joe est retrouvé par Yates et son ami du camp, qui avaient décidé de chercher une dernière fois leur compagnon avant de plier bagage, convaincus de la mort de Simpson.

Touching the Void est donc le récit de ces quelques jours de calvaire vécus à la fois par Simon Yates, hanté par le remords d'avoir en quelque sorte tué son ami, et par Joe Simpson, se frayant tant bien que mal un chemin à travers la tempête de neige. Le film, totalement dépourvu de voix off ou de cartons descriptifs, est construit sur une double narration : d'un côté, le récit fait par les deux alpinistes avec presque 20 ans de recul (le film a été tourné en 2002), filmés de façon extrêmement neutre sur un fond bleu, en gros plan, à la manière d’une interview ; de l'autre, une reconstitution partielle des événements avec des alpinistes professionnels "doublant" Yates et Simpson, tournée sur les lieux de l'aventure au Pérou. Cette deuxième narration pourrait s'apparenter à une sorte de "docu-fiction" dramatisé à outrance, mais c'est loin d'être le cas. Les reconstitutions sont dépourvues de dialogue, de pathos ou de jeu d'acteur, et ne servent qu'à montrer au spectateur la situation dans laquelle se trouvaient les deux grimpeurs. Une partie des reconstitutions a d’ailleurs été "jouée" par Joe et Simon eux-mêmes, les deux hommes étant présents pendant tout le tournage et le plus à même de répéter leurs faits et gestes d'alors. Parfois, la voix des "interviews" de Joe ou de Simon - enregistrées en 2002 - vient se superposer aux images des reconstitutions ; mais la plupart du temps, les sons et images des interviews sont séparés des moments de profond silence des scènes de montagne. Ces dernières sont parfois accompagnées de musique, une bande originale créée pour le film par le compositeur Alex Heffes. Enfin, la narration est rythmée par l'apparition, de temps à autre, d'un surtitre spécifiant "Day One", "Day Two" ou "Day Three", afin de resituer le spectateur dans la chronologie des événements.

Au-delà de cette narration somme toute assez classique pour un documentaire (interviews + images d'archive ou reconstitutions), Touching the Void frappe par l'extrême originalité de sa mise en scène. Chaque plan, chaque cadrage, chaque mouvement de caméra est étudié de façon à susciter une émotion, une sensation précise chez le spectateur. La mise en scène évolue parallèlement aux personnages, devenant une parfaite illustration de leur état d'esprit, plongeant littéralement le spectateur dans la tête des protagonistes. Par conséquent, le spectateur a réellement la sensation de vivre l'aventure aux côtés de Joe et Simon.

Au début du film, la caméra est calme, tout autant que les deux amis, qui marchent vers leur camp de base avant de débuter l'ascension. Les plans sont très larges, situant le décor imposant de Siula Grande et donnant une impression de liberté (notamment par une série de plans aériens souples et fluides, filmés depuis un hélicoptère) qui se perdra complètement à mesure que les deux hommes seront confrontés à leur mésaventure. Lorsque l'escalade de la montagne commence, Kevin McDonald (ou plutôt son cameraman Keith Patridge, puisque McDonald n’a pas tenu lui-même la caméra) filme en gros plans le matériel des deux amis, s'attardant sur les cordes, baudriers et mousquetons afin de bien faire comprendre au spectateur les détails techniques d'une telle ascension. (Je ne sais pas, toutefois, si quelqu'un n'ayant jamais pratiqué l'escalade parvient à comprendre le fonctionnement complexe de toutes leurs installations, et ce malgré les explications des deux intéressés.) Les plans sont dynamiques et variés, la caméra extrêmement mobile, placée à des endroits inattendus, créant des perspectives quasi-surréalistes mêlant humains, matériel et immensité de la montagne. Dès le début, celle-ci apparaît comme mille fois supérieure aux deux alpinistes, semblant les écraser de sa masse gigantesque. Les cadrages laissent deviner que les hommes seront bientôt en position de faiblesse par rapport à la nature environnante.

Lorsque les choses commencent à mal tourner pour Joe (c'est-à-dire au moment où il se casse la jambe), la caméra se fait plus nerveuse. Terminés, les longs plans fixes nous faisant profiter de la beauté de la montagne. À présent, l'environnement est hostile, et cet effet est renforcé par l'utilisation du son, particulièrement le sifflement strident du vent qu'on sent glacial. Au moment décisif où Yates prend la décision de couper la corde qui le relie à Joe, le condamnant pour ainsi dire à mort, le cinéaste utilise un montage alterné montrant à tour de rôle Joe suspendu dans le vide, et des gros plans sur les mains de Simon sortant un canif de sa poche. Malgré la situation totalement statique des deux hommes (tous deux sont immobilisés depuis plusieurs heures), l'impression de mouvement, de nervosité, est constante.

À partir du moment où les deux compagnons se retrouvent séparés (Joe au fond de la crevasse et Simon au sommet de la corniche), le film devient visuellement moins conventionnel, plus étrange, dans la mesure où il essaye de représenter ce qui se passe dans la tête des deux personnages, et plus particulièrement de Joe, sur lequel McDonald semble s’attarder davantage que sur son compagnon – sans doute parce que son expérience est la plus extrême des deux. Le décor dans lequel Joe se trouve (la crevasse, les stalactites, les paysages surréalistes de neige et de glace) est filmé de telle sorte à ce qu'on ne comprenne pas l'échelle du plan : s'agit-il d'un gros plan sur un détail du paysage, ou au contraire d'un plan d'ensemble ? (Exemple : à un moment, on voit un plan en plongée sur ce qui semble être des empreintes de pas dans la neige ; seulement, lorsque la caméra s’approche, on constate qu'il s'agissait en fait d'énormes crevasses filmées en plan aérien, au centre d'une desquelles évolue Joe. Ce plan illustre justement une phrase de Joe disant en voix off qu'il avait l'impression d'être une minuscule fourmi prête à être écrasée… C'est exactement le sentiment que donnent ces "empreintes de pas" monstrueuses).

Le spectateur perd totalement ses repères, de même que Joe Simpson, perdu dans la montagne. La sensation est dérangeante et nous met bien dans la situation de l'alpiniste désorienté. Ce procédé sera utilisé pendant tout le reste du film, et sera de plus en plus accentué à mesure que Joe perd son sens de l'orientation et des réalités, en proie à la fatigue et aux hallucinations.

Plus le film avance et plus l'état de santé physique et mentale de Joe se dégrade, plus le réalisateur a recours à des effets visuels qu'on ne s'attend pas à voir dans un documentaire. On commence, par moments, à voir le paysage à travers les yeux de Simpson, en point de vue subjectif. La fatigue lui brouillant les yeux, nous voyons nous aussi une image floue et instable. Au fur et à mesure que le temps s’écoule, nous sommes de plus en plus fréquemment à l'intérieur de la tête du personnage, continuant ainsi à littéralement vivre l'expérience avec lui. Par conséquent, le documentaire prend une tournure réellement viscérale, inquiétante, intense. Le travail sonore lui aussi évolue, les sons sont distordus, certains sont amplifiés alors que d'autres sont effacés. En interview, Joe Simpson explique que le froid modifiait sa perception des sons. Encore une fois, Kevin Mc Donald tient à ce que le spectateur partage l'état d'esprit de son sujet.

Le dernier jour de calvaire vécu par Joe Simpson est le plus intéressant de tous au niveau visuel. On plonge toujours plus loin dans la conscience du personnage, on voit de plus en plus le monde par ses yeux, sans presque aucun plan "objectif" nous rappelant la véritable apparence du paysage. Le voyage dans la tête de Joe s'avère éprouvant et terrifiant. Sa vision, et donc l'image, est de plus en plus brouillée, les sons de plus en plus irréels et effrayants. Les hallucinations racontées par Joe sont illustrées à l'écran par une image en noir et blanc, à l'étrange apparence d'une mauvaise pellicule des années 1920, rayée et granulée. Pendant un certain laps de temps, nous perdons entièrement le contact avec le réel alors que Joe, en plein délire hallucinatoire, est obsédé par une chanson de Boney M (un groupe de disco des années 1980) lui trottant inlassablement dans la tête. "Je me disais que j'allais mourir avec l’air de Boney M", racontera Simpson a posteriori. "J'avais horreur de ce groupe". Pour nous plonger dans le même état d'esprit, tout son et bande originale disparaît au profit de la véritable chanson pop de Boney M. Dans le contexte du film, la chanson (pourtant pas inquiétante pour deux sous !) se transforme en un déconcertant cauchemar sonore, et comme le protagoniste, notre seule envie est qu'elle s'arrête. Les images floues, presque psychédéliques, vues  à l'écran sont encore plus difficilement supportables sur du Boney M. Le retour à la réalité, à la véritable ambiance sonore de la montagne (vent qui souffle, neige qui craque…) est par conséquent un vrai soulagement.

La fin du film, une fois que Joe, plus mort que vif, est retrouvé par Simon et son ami, baigne dans une chaude lumière dorée, alors que le trio se réchauffe dans la petite tente montée au camp de base. Afin d'éviter toute forme de pathos ou de happy end tire-larmes, le réalisateur ne filme quasiment rien des retrouvailles et des moments qui suivent ; le récit de Joe et Simon, plein d'émotion, suffit. Le film se termine de façon assez abrupte, sur une note plus humoristique qu'émotionnelle (l'ami de Simon et Joe se réjouit d'avoir retrouvé "Ce bon vieux Joe d'avant" après que ce dernier se soit plaint que ses compagnons aient brûlé ses vêtements - ce qu'ils avaient fait comme dernier hommage à leur ami disparu). Pendant que se déroule le générique et que le spectateur se remet de ses émotions (intenses) vécues pendant le film, on nous montre quelques photos en noir et blanc prises par Joe et Simon quelques heures après leurs retrouvailles, montrant les hommes sur le chemin du retour ou encore à l'hôpital.

Touching the Void est donc un film unique dans le sens où le spectateur n'est pas passif devant l'écran, mais littéralement embarqué dans le documentaire, sans cesse sollicité, partageant chacun des sentiments des protagonistes. Kevin McDonald excelle à véhiculer des émotions avec d'audacieux procédés visuels et sonores, davantage que grâce à l'histoire elle-même (sans la mise en scène de McDonald, la même histoire aurait pu devenir plate et relativement ennuyeuse, sachant que le film dure quasiment deux heures).

En plus d'une expérience viscérale et dérangeante, le film pose aussi un certain nombre de questions sur la place de l'homme dans la société, ses réactions lorsqu'il se trouve justement coupé de tout contact humain, l'instinct de survie et la rage de vivre, le remords et la culpabilité ou la difficulté de faire des choix décisifs. Les récits croisés de Joe et Simon témoignent bien de cette culpabilité sous-jacente, chacun des deux hommes étant persuadé que l'autre est mort, et s'en voulant de le rien avoir fait pour tenter de sauver son partenaire. Une fois le fait divers rendu public, de nombreux journalistes et alpinistes ont d'ailleurs critiqué vertement la décision prise par Simon Yates de couper la corde et d’abandonner Joe ; cependant, Joe Simpson défend son ami, reconnaissant qu'il avait fait le bon choix, le seul choix qui pouvait sauver au moins l'un des deux hommes.

Kevin McDonald tente visiblement de ne pas porter de jugement personnel sur l’aventure vécue par les deux hommes, préférant livrer la version la plus objective possible au spectateur, afin de laisser ce dernier juger par lui-même. En effet, quoi de plus proche de la réalité que le récit fait de vive voix par les intéressés ? McDonald tient à nous plonger totalement dans le récit, nous fournissant tous les détails nécessaires à sa parfaite compréhension (détails géographiques, techniques, médicaux…). Toutefois, malgré l’apparente objectivité du documentaire, on remarque assez clairement que la fascination du cinéaste se porte davantage sur ce qu’a vécu Joe Simpson que sur l’histoire parallèle de Simon Yates. Lorsque le film nous montre la réalité en point de vue subjectif, il s’agit toujours du point de vue de Simpson, jamais de celui de Yates. C’est clairement dans l’esprit de Joe que McDonald essaye de plonger le spectateur. Sans doute le cinéaste a-t-il considéré que l’aventure vécue par Joe était plus extrême que celle de Simon, ou encore qu’elle offrait plus de possibilités esthétiques et visuelles. Ni une critique ni un éloge, le film est plutôt une reconstitution fidèle d’un fait réel, soucieux de réalisme et foisonnant de détails.

À titre personnel, Touching the Void reste l'un des documentaires les plus marquants qu'il m'ait été donné de voir. Je dois avouer qu’en lisant le synopsis, je m'attendais plutôt à un docu-drama larmoyant tendance reportage sur M6, et j'ai finalement vécu l'une de mes expériences les plus intenses au cinéma, malgré une narration pas forcément propice à l'immersion totale (les interviews venant continuellement couper la narration reconstituée…). Jamais un documentaire ne m'avait fait autant ressentir les émotions d'un protagoniste - même les œuvres de fiction aussi puissantes sont rares.

En guise de conclusion, je pense qu'il peut être intéressant de comparer Touching the Void aux adaptations cinématographiques d'une autre histoire devenue célèbre dans le milieu de l'alpinisme : celle d'Aron Ralston, un grimpeur américain resté bloqué six jours sans boire ni manger dans un canyon de l'Utah en avril 2003, et qui avait dû amputer son propre bras pour s'en sortir. Sa mésaventure, qui avait elle aussi fait la une de tous les journaux à l’époque, a récemment regagné en popularité à l'occasion du film 127 Hours de Danny Boyle ; en outre, elle avait également fait l'objet, en 2004, d'un reportage diffusé sur la chaîne américaine NBC. Tout comme Touching the Void, le documentaire est adapté de l'autobiographie de l'intéressé (Between a Rock and a Hard Place, parue en 2004). Pour les besoins du reportage, Aron Ralston était retourné sur les lieux de l'accident avec une équipe de journalistes et avait expliqué étape par étape, devant les caméras, le déroulement des six jours d'emprisonnement et de sa libération spectaculaire.

Si l'on s'intéresse aux adaptations documentaires de chacun de ces deux faits divers assez semblables, on remarque que Touching the Void est un film aussi fascinant sur la forme que sur le fond, alors que le documentaire de NBC (intitulé Desperate Days in Blue John Canyon, réalisé par le journaliste Tom Brokaw) intéresse uniquement par son contenu - l'incroyable récit présenté in situ par Aron Ralston lui-même. Par son aspect cinématographique/esthétique, le reportage ne présente aucun intérêt, et sa principale vocation est de faire sensation, comme la majorité des petits documentaires télévisés. Le mode de diffusion (télévision et non cinéma) et l’origine du réalisateur (journaliste et non cinéaste) sont d’ailleurs très différents de ceux de Touching the Void.

Touching the Void emmène littéralement le spectateur avec lui par une multitude de procédés visuels, alors que Desperate Days in Blue John Canyon se contente d'exposer une version sage (passionnante, certes, mais sage) des faits sans se soucier aucunement de l'intérêt esthétique du film. Le long-métrage de Boyle, 127 Hours (sorti en France en février 2011), est en revanche proche de Touching the Void en matière d'émotions viscérales et brutes (le film aurait suscité des évanouissements lors des premières projections en festivals !) ainsi que d’originalité et de trouvailles visuelles et sonores ; mais il est bien sûr difficile de comparer les deux puisque contrairement à Touching the Void, 127 Hours (même s'il est extrêmement fidèle à la réalité car supervisé par Aron Ralston lui-même) est une œuvre de fiction, avec acteurs et mise en scène.

En regardant un film comme Touching the Void, on est amené à se demander si, malgré ce qu'on a tendance à penser, le documentaire ne serait pas une solution tout aussi satisfaisante - voir meilleure ? - que la fiction pour faire naître l'émotion et plonger le spectateur dans l'intensité d'une expérience réellement vécue ; Touching the Void y réussit, en tous cas, mieux que la grande majorité des biopics/fictions mises en scène que j'aie pu voir, et restera en ce sens un documentaire unique.


Bibliographie

Films
Touching the Void, de Kevin McDonald (2003)
127 Hours, de Danny Boyle (2011)
Desperate Days in Blue John Canyon, de Tom Brokaw (2004)

Livres
Touching the Void, de Joe Simpson (1988)
Between a Rock and a Hard Place, de Aron Ralston (2004)

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