15 novembre 2012

Drive

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Titre original : Drive
Réalisateur : Nicolas Winding Refn
Avec : Ryan Gosling, Carey Mulligan, Albert Brooks, Bryan Cranston...
Date de sortie : 2011
Pays : USA
Note : ♥♥♥♥♥

"I don't sit in while you're running it down. I don't carry a gun. I drive."

Ma critique est un peu tardive et la folie Drive qui a secoué la critique et le festival de Cannes 2011 est progressivement retombée, mais mon opinion sur le film reste intacte : en adaptant le roman éponyme de James Sallis, le cinéaste danois Nicolas Winding Refn (à qui l'on doit déjà, entre autres, la très bonne trilogie Pusher) a créé là un véritable chef-d'œuvre.

Pourtant, je n'étais pas entrée dans la salle de cinéma avec une haute estime du film que j'allais voir. Le titre, la bande-annonce et l'affiche francaise (un type au volant, le regard ténébreux, baignant dans une lumière métallique et avec une typo à la Fast and Furious) me faisaient craindre un énième "film de bagnoles" à l'américaine, avec des courses-poursuites à gogo, un scénario creux, une bande originale abominable et une avalanche de clichés et de déjà-vus - bref, le genre de "popcorn flick" que j'évite habituellement avec soin.


J'ai su que je me trompais avant même l'apparition du premier plan du film. Le générique de début en disait suffisamment long : écrit avec une typo pseudo-manuscrite à l'esthétique eighties, rose bonbon (voir l'affiche américaine ci-dessus), il m'a d'abord fait penser que je métais trompée de salle et que j'étais partie pour voir une comédie romantique. Mais une fois rassurée sur ce point, j'ai compris que Drive serait loin, très loin d'un nouveau Speed ou 60 Secondes Chrono...


 Driver (Ryan Gosling)

Au niveau purement scénaristique, tous les ingrédients du thriller d'action classique sont réunis : un héros mystérieux as du volant, une jolie jeune femme esseulée, des histoires de mafia, de vengeance et de valises pleines de dollars. Situé à Los Angeles, le film suit un personnage dont nous ne connaissons pas le nom (que nous appellerons Driver, puisque c'est ainsi qu'il se définit : "I drive"...), interprété par Ryan Gosling. Pendant la journée, Driver travaille dans un garage et est conducteur-cascadeur pour le cinéma ; la nuit, il est chauffeur pour des braqueurs. Bref, les voitures, c'est son truc. Il mène une vie discrète et solitaire jusqu'au jour où il rencontre Irene (Carey Mulligan), sa voisine de palier, une jeune maman dont le mari Standard (Oscar Isaac) est en prison et qui vit seule avec son fils Benicio (Kaden Leos). Alors que Driver s'attache progressivement à Irene et Benicio, Standard est libéré et rentre chez lui. Menacé par un gang auquel il doit une grosse somme d'argent, il accepte de faire équipe avec Driver pour braquer un prêteur sur gages... Une magouille qui va entraîner des complications inattendues et tranformer le paisible personnage de Driver en justicier assoiffé de vengeance.


Un scénario solide et bien ficelé, donc, porté par des acteurs magistraux. Ryan Gosling est absolument parfait dans le rôle de ce personnage ambigu et insaisissable, silencieux à la limite de l'autisme, tour à tour doux et violent, calme et dangereux, protecteur et assassin, dont nous ne connaissons ni le nom, ni le passé ; Carey Mulligan est magnifique et impressionnante de naturel en Irene,  femme fragile mais volontaire, loin de l'image récurrente (et agaçante) de la fille sexy servant de love interest au héros. La relation qui unit Driver et Irene est d'ailleurs purement platonique, et en cela plus complexe et intéressante qu'une simple romance (Driver semble d'ailleurs presque plus attaché au petit Benicio qu'à Irene). Le choix des acteurs secondaires est inattendu mais irréprochable : la pulpeuse Christina Hendricks enlaidie pour devenir une pouffiasse de bas étage, l'acteur comique Albert Brooks et la "gueule" Ron Perlman dans le rôle des mafieux Bernie Rose et Nino... Leurs performances sont toutes excellentes et portent admirablement le scénario de bout en bout.


 Irene (Carey Mulligan)

Mais le véritable génie de Drive réside dans sa mise en scène (dont il a très justement reçu le prix à Cannes en 2011). Tout le film est à l'image de la typo rose du titre : aux antipodes des stéréotypes du genre. Ici, pas de montage nerveux et ultra-rapide, pas de courses-poursuites interminables, pas de nombreux plans sur les voitures ou les grands décors environnants. Refn multiplie les gros plans, accordant une importance toute particulière aux visages et aux regards (davantage qu'aux dialogues, qui sont courts et rares, faisant la part belle aux longs silences) ; c'est là l'une des similitudes que Drive entretient avec le genre du western*. Le montage est lent, lancinant, prenant le temps d'installer des ambiances sans pour autant rendre le film ennuyeux une seule seconde. (De plus, certains passages rompent la chronologie en faisant soudainement un bond en avant dans le temps, de façon à rythmer les séquences et à ajouter au mystère.) Les ralentis sont nombreux, et certaines scènes, magnifiques, semblent réellement figées dans le temps, à l'image de ce plan à la fin du film : après une confrontation finale avec Bernie Rose au cours de laquelle il a été blessé, Driver est assis au volant de sa voiture, immobile, couvert de sang, les yeux ouverts et le regard fixe... Mort ? C'est ce que l'on pense et craint pendant les 1 minute 10 (!) que dure le gros plan sur son visage, avant qu'enfin, il cligne très lentement des paupières...


À cette lenteur s'opposent quelques subites explosions de violence, particulièrement intenses car tout à fait inattendues, à la dynamique presque Quentin-Tarantinesque. Riches en hémoglobine, ces séquences illustrent la brusque transformation de Driver en tueur de sang-froid sans aucune pitié, éliminant tous ceux qui menacent ses protégés Irene et Benicio. À mesure que le film se déroule, la veste blanche immculée de Driver se tache peu à peu de sang, symbolisant sa descente progressive dans un cercle vicieux de vengeance et de violence.


Le travail sur les cadrages, les couleurs et la lumière est sublime. Le réalisateur exploite énormément la profondeur de champ et les variations de focale, chaque séquence a sa propre ambiance et ses propres couleurs, chaque plan est d'une incroyable beauté plastique et a été travaillé minutieusement, sans aucun détail laissé au hasard. La lumière est utilisée à des fins esthétiques défiant par moments toute forme de réalisme ; il en va ainsi de la fameuse "scène de l'ascenseur", où l'éclairage change et s'adoucit brusquement au moment où Driver se penche pour embrasser Irene, avant de revenir ensuite à la normale, rompant le charme, lorsque Driver attaque soudain l'homme se trouvant dans l'ascenseur avec eux. Autre exemple, la scène de l'affrontement entre Driver et le mafieux Nino sur une plage déserte, en pleine nuit, périodiquement éclairée  par la lumière blafarde d'un phare.


 Un Driver couvert du sang de ses victimes après une violente fusillade...

La bande sonore est elle aussi originale et parfaitement maîtrisée. De longs silences occupent la majeure partie du film, y compris dans certaines scènes d'action, ce qui leur donne un tout autre caractère et permet au spectateur de se focaliser davantage sur ce qui se passe à l'image. Par ailleurs, Refn brouille les pistes entre son diégétique et extra-diégétique, comme dans cette scène dans l'appartement de Driver, où l'on entend parfaitement la musique (en extra-diégétique) venant de chez ses voisins (diégétique) alors qu'elle devrait logiquement être basse et étouffée ; elle ne devient diégétique qu'au moment où Driver quitte son appartement pour aller retrouver Irene dans le couloir. De façon générale, le choix des musiques est excellent mais déroutant, entre morceaux lancinants à la Brian Eno et chansons pop tendance eighties offrant des séquences presque kitsch (comme par exemple la scène où Driver, Irene et Benicio se promènent en voiture dans un lit de rivière asséché, avec une lumière chaude à la Sofia Coppola et au son de Real Hero de College...).

Drive est donc une excellente surprise qui bouleverse totalement les codes du "film de voitures", avec une dynamique unique, un personnage principal mémorable, un style visuel et sonore époustouflant et des acteurs ultra-convaincants. Un thriller aussi prenant que magnifique, à ne pas manquer.


*Pour une analyse développée sur la question du western dans le 
film, lire mon dossier La figure du cowboy moderne dans Drive.

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