1 août 2016

Homeland


Créateurs : Howard Gordon & Alex Gansa
Avec : Claire Danes, Rupert Friend, Damian Lewis, Mandy Patinkin...
Dates de diffusion : 2011-présent
Pays : USA
Note : ♥♥♥♥♥

"Assad is still in power, ISIS is still growing... 
Are we really getting anywhere in Syria?"

Attention : cette critique comporte des spoilers majeurs sur l'ensemble de la série Homeland ! Continuez votre lecture à vos risques et périls...

Homeland est une série que je voulais critiquer depuis des années, et après m'être à peu près remise du final de la saison 5 (oh god, ce final !) je m'y attelle enfin. Adaptée de la série israélienne Hatufim, Homeland se situe au panthéon de mes séries préférées, tout là-haut avec Twin Peaks et Game of Thrones.

Comme la série comporte déjà 5 saisons, il est évidemment difficile d'en résumer le scénario  d'autant plus que la principale qualité de Homeland est de renouveler ses intrigues au fur et à mesure, évitant de tomber dans la redite ou de lasser le spectateur au fil des saisons. Nous suivons Carrie Mathison (Claire Danes), agent de la CIA spécialisée dans le contre-terrorisme, empêtrée dans une série d'intrigues terriblement palpitantes. La première saison commence avec la libération d'un marine américain, Nicholas Brody (Damian Lewis), qui vient de passer huit ans dans une prison en Afghanistan. Accueilli par la population et le gouvernement comme un héros de guerre et faisant rapidement son chemin jusqu'au Congrès, Brody est rapidement suspecté par Carrie d'avoir été "retourné" et de travailler pour la cause terroriste...

Carrie Mathison (Claire Danes) au Moyen-Orient

Si "l'affaire Brody" s'étend sur les trois premières saisons de Homeland, elle laisse cependant place à d'autres intrigues dans les saisons 4 et 5, où de nouveaux personnages et de nouveaux enjeux font leur apparition (sans que la série en perde son élan, bien au contraire). Au centre de la narration, on retrouve toujours le trio principal de la CIA; composé de Carrie, accompagnée de son mentor Saul Berenson (Mandy Patinkin) et de son collègue et ami Peter Quinn (Rupert Friend), 

Le scénario est comme toujours calqué avec précision sur l'actualité mondiale et la menace terroriste : la saison 4 se déroule en grande partie à Islamabad au Pakistan, ou Carrie poursuit le leader taliban Haissam Haqqani, et la saison 5, qui se passe à Berlin, aborde des sujets tels que la guerre contre l'État Islamique en Syrie, les attentats à l'arme chimique, le piratage informatique à la Edward Snowden ou encore les relations houleuses entre les USA et la Russie. La saison ayant été diffusée au moment des attentats du 13 novembre à Paris, elle fait plus que jamais écho à l'actualité, avec un réalisme extrême plutôt effrayant.



Saul Berenson (Mandy Patinkin)

L'un des aspects particulièrement appréciables de Homeland est la complexité et l'ambiguité de ses propos et de ses personnages. On est loin des productions américaines ou les gentils Américains sauvent le monde des méchants Arabes terroristes, avec une bonne dose de manichéisme nationaliste. Homeland ne présente pas les agents de la CIA comme des héros, et prend le temps de développer les personnages terroristes afin de leur donner du relief (sans pour autant excuser leurs actes). Carrie Mathison elle-même n'hésite pas à semer des cadavres sur son chemin pour parvenir à ses fins, et ses actions sont régulièrement présentées comme hautement contestables  "So many people, so much blood on your hands... I don't know how you live with yourself", accuse son petit ami Jonas, dégoûté. La force du personnage de Carrie réside dans cette dualité – intelligente, forte et courageuse, mais également obsessionnelle et impitoyable (pour ne rien arranger, Carrie est bipolaire et sous traitement médical...).


L'autre grande qualité de Homeland, c'est son suspense. Chaque épisode est truffé de révélations, de surprises et retournements de situation qui nous donnent une envie irrépressible de regarder le suivant ; les cliffhangers de fin d'épisode sont souvent au rendez-vous. Jamais des sujets d'actualité ne m'auront autant passionnée (mine de rien, j'ai beaucoup appris sur la politique étrangère en regardant Homeland, moi qui ne regarde jamais les infos...). De plus, comme le font bon nombre de séries ces jours-ci, la série n'hésite pas à éliminer certains de ses personnages principaux au beau milieu de l'histoire – rendant le suspense encore plus insoutenable, sachant que tous les protagonistes peuvent mourir d'un instant à l'autre... 



Carrie et Brody (Damian Lewis)

La saison 3 de Homeland a frappé particulièrement fort en éliminant brusquement LE héros principal aux côtés de Carrie, Nicholas Brody, que l'on suivait depuis le tout début (au point que les spectateurs étaient persuadés qu'il n'était pas vraiment mort et ferait son retour dans la saison 4... Que nenni !). Si cette fin de saison a laissé de nombreux spectateurs perplexes, voire outrés  comment la série pourrait-elle bien continuer sans Brody ? Tout tournait autour de lui ! –, Homeland a parfaitement su rebondir, plus palpitante que jamais dans ses saisons 4 et 5. 


Et le final de la cinquième saison de nous asséner à nouveau un grand coup, avec un cliffhanger insupportable sur le sort d'un autre héros de la série : Peter Quinn, laissé dans le coma entre la vie et la mort après un empoisonnement au gaz sarin... Sachant que Homeland n'est pas frileuse quand il s'agit de tuer sans vergogne ses personnages principaux, le risque est gros et l'attente de la saison 6 interminable. Pire que le "Red Wedding" de Game of Thrones ! (Quelle idée, aussi, de s'attacher autant à tous ces personnages de série...)

Carrie (incognito sous une perruque brune...) et Quinn (Rupert Friend)

Côté casting, il n'y a rien à redire, les performances sont excellentes. Le jeu de Claire Danes, très riche et nuancé, colle parfaitement à la diversité des émotions et des sentiments qui habitent Carrie ; tous les autres protagonistes (Saul, Quinn, Brody, Dar Adal, mais aussi les personnages de terroristes  Abu Nazir, Haqqani, Bibi Ahmed) sont joués avec justesse et réalisme sans jamais tomber dans la caricature. J'apprécie tout particulièrement le fait que, dans cette recherche de réalisme justement, Homeland ne soit pas tournée uniquement en anglais : on y parle souvent arabe, russe ou allemand, et pas seulement l'espace de quelques répliques ans importance, "histoire de". De nombreuses scènes sont tournées exclusivement dans une langue étrangère lorsque le contexte le justifie, et heureusement : rien de plus irritant, en effet, que d'entendre des personnages syriens ou russes parler un anglais parfait entre eux... La saison 5, notamment, comprend un grand nombre de scènes-clés tournées en allemand, puisque l'action se déroule à Berlin et que la majorité des personnages est allemande.

Homeland est donc une série prenante, réaliste et extrêmement bien écrite, laissera le spectateur se faire happer par son suspense habilement dosé et une galerie de personnages aussi attachants que complexes. Une excellente série d'action doublée d'une réflexion sur des problématiques d'actualité (la menace jihadiste en tête), Homeland n'hésite jamais à surprendre, choquer, se renouveler  une audace qui lui promet encore bien des saisons palpitantes... À voir absolument !

15 mai 2015

College Boy


Réalisateur : Xavier Dolan
Avec : Antoine Olivier Pilon, Antoine L'Écuyer...
Date de sortie : 2013
Pays : Canada
Note : ♥♥♥♥♥

"Je comprends qu'ici c'est dur d'être si différent pour ces gens 
Quand je serai sûr de moi, un petit peu moins fragile, ça ira..."

Avertissement : Les images illustrant cette critique ainsi que la vidéo qui y est présentée sont susceptibles de heurter la sensibilité de certains.

Après Mommy, je continue sur ma lancée Xavier Dolan. Cette fois, il ne s'agit pas d'un long-métrage, mais d'un court de 6 minutes – plus exactement, un clip que le cinéaste québécois a réalisé en 2013 pour le groupe français Indochine et leur titre College Boy, tiré de l'album Black City Parade. Un clip qui a beaucoup fait parler de lui à sa sortie, qui en a choqué plus d'un, et qui s'est vu interdire aux moins de 16 ans et à la diffusion en journée sur toutes les chaînes de télévision.

College Boy traite d'un sujet malheureusement bien banal : le harcèlement scolaire. Nous suivons la descente aux enfers d'un jeune adolescent (Antoine Olivier Pilon, qui sera révélé au grand public dans Mommy l'année suivante) dans un collège huppé du Canada. Le garçon est harcelé et humilié par ses camarades de classe, menés par leur leader à la gueule d'ange (Antoine L'Écuyer) – tout d'abord de manière relativement "commune" (boulettes de papier lancées sur lui pendant les cours, casier dégradé...), puis d'une façon de plus en plus intense et atroce. Les événements vont crescendo et se terminent par la crucifixion et la mise à mort en public de l'adolescent, au milieu d'une cour de récréation.

Le jeune souffre-douleur crucifié devant l'entrée de son collège

Choquant, dérangeant ? Oui, College Boy l'est assurément. J'ai moi-même détourné le regard tant la violence de certaines scènes était insoutenable. Cette violence, Xavier Dolan la filme sans tabou, et la deuxième partie du clip est particulièrement dure et sanglante. Mais College Boy est choquant et extrême de la même manière que le sont ces spots de prévention pour la sécurité routière : le but n'est pas de choquer pour "faire le buzz" (comme certains médias l'ont reproché à Indochine), mais de secouer le spectateur pour, espérons-le, faire évoluer les mentalités et changer les choses. Paradoxalement, après avoir été interdit de diffusion en journée par le CSA, il a été question de montrer College Boy dans les collèges et les lycées à titre didactique... (Nicola Sirkis, d'Indochine, a tout de même rappelé que lui-même déconseillait le clip aux moins de 14 ans.)

Le groupe de harceleurs, à l'apparence de petites têtes blondes innocentes...

Effectivement, le film est très clair dans son propos. Grâce à un mélange de réalisme et de symbolisme, il condamne le harcèlement scolaire et, de manière plus suggérée, l'homophobie (il est sous-entendu que le personnage principal puisse être homosexuel, dans la scène où sa mère découvre qu'il s'est mis du vernis à ongles). Le réalisme réside dans le traitement de la violence – crue, sans fard, difficilement soutenable. Le symbolisme, lui, apparaît dans la deuxième partie de la vidéo. Premièrement avec la crucifixion du jeune héros, à la fois torture physique et humiliation publique (les harceleurs vont jusqu'à orner la croix d'une guirlande qui illumine la macabre scène...) ; et deuxièmement avec les bandeaux que tout les témoins du harcèlement – profs, autres élèves, policiers  – portent sur les yeux, alors même qu'ils lèvent la tête vers la victime crucifiée et que certains d'entre eux la filment avec leur téléphone portable. Xavier Dolan n'hésite pas à souligner la terrible indifférence, voire le voyeurisme malsain, que suscite bien souvent le harcèlement à l'école. Tous regardent, mais personne n'intervient, et la victime, elle, se tait jusqu'à ce qu'il soit trop tard...

Les élèves aux yeux bandés, assistant à l'exécution de la victime

Comment interpréter, alors, cette déroutante scène finale, où l'adolescent, tabassé. crucifié et tué par balles, couvert de sang mais filmé dans une contre-plongée à travers laquelle il nous domine de toute sa hauteur, baisse la tête vers la caméra et nous adresse un "Merci" chuchoté ? Nous remercie-t-il d'avoir regardé jusqu'au bout, d'avoir supporté l'insupportable, de ne pas nous être détournés ? Ou bien s'agit-il d'un "merci" cynique, à nous qui avons regardé sans agir, avec notre propre bandeau sur les yeux ? Je préfère croire à la première option, mais seul Dolan pourrait nous le dire... Ce qui est sûr, c'est que College Boy fait réfléchir.

Le regard caméra de l'adolescent à la toute fin du clip

Visuellement, comme toujours chez Xavier Dolan, c'est beau. Très beau. Le format d'image est semblable à celui qu'il utilisera pour son film Mommy : une image (presque) carrée, des bandes noires à gauche et à droite qui concentrent la vision du spectateur sur les visages des personnages et les enferment dans un cadre réduit. Le clip est tourné en noir et blanc, avec un sublime jeu de clair-obscur et souvent une faible profondeur de champ, et chaque plan mérite qu'on s'y attarde tant il est bien composé, réfléchi, travaillé.

La qualité du jeu d'acteur, même sur un temps aussi court que 6 minutes et dans un clip dépourvu de dialogue, est flagrante. Il suffit de quelques secondes pour que l'on s'attache au jeune ado blond qui subit les sévices de ses camarades, et guère plus pour détester celui qui mène le groupe de harceleurs. Un an avant Mommy, le très talentueux Antoine Olivier Pilon (alors âgé de 15 ans) nous emmène dans un tourbillon d'émotions fortes.

La musique, elle, va parfaitement avec le film : le montage épouse le rythme et les variations de la chanson. Je n'ai jamais vraiment apprécié les titres d'Indochine, mais après plusieurs écoutes, je découvre que j'aime beaucoup College Boy... Les paroles traitent le thème avec beaucoup de subtilité, sans aucune lourdeur et de manière presque abstraite (tant et si bien que sans le clip, je ne suis pas sûre que l'on comprendrait de quoi elles parlent). La vidéo est donc davantage un complément indispensable qu'une simple illustration de la chanson.

La course du jeune garçon, sur les premières notes de synthé du morceau

College Boy est un clip qui restera probablement dans les annales, et que le spectateur n'effacera pas facilement de sa mémoire. Xavier Dolan signe un court-métrage aussi dur que magnifique, dépeignant une triste vérité avec beaucoup de maestria artistique, et parvient à nous chambouler en 6 minutes davantage que la plupart des films ne le font en 1h30. Je ne parviens pas à comprendre comment le CSA a pu censurer ce clip, pendant que des enfants de 10 ans peuvent regarder librement toutes sortes d'images autrement plus choquantes sur toutes les chaînes de télévision... Les images de College Boy dérangent, certes, mais n'est-ce pas là justement le but de ce court-métrage ? À voir absolument, quoiqu'en disent certains médias que la réalité présentée par Dolan et Indochine semble déranger.

Le clip dans son intégralité :

23 janvier 2015

Mommy


Titre original : Mommy
Réalisateur : Xavier Dolan

Avec : Antoine Olivier Pilon, Anne Dorval, Suzanne Clément... 
Date de sortie : 2014
Pays : Canada
 
Note : ♥♥♥♥♥

"Ça se peut qu'à un moment donné, tu m'aimes plus.
Ça se peut, ces affaires-là. Ça arrive."

Honte à la cinéphile que je suis, ce n'est que récemment que j'ai découvert le cinéma de Xavier Dolan – avec le film qui l'a définitivement révélé au grand public et qui a remporté un Prix du Jury bien mérité à Cannes : Mommy. Et quelle découverte. Une fois n'est pas coutume, les médias n'ont pas exagéré le talent du "jeune prodige québécois" (qui, rappelons-le, a mon âge – 25 ans – et déjà 5 longs-métrages à son actif. Rien que ça). 

Mommy, c'est l'histoire de Diane "Die" Després (Anne Dorval), une jeune veuve qui doit élever seule son fils Steve (Antoine Olivier Pilon), 15 ans, ado ultra-turbulent souffrant de TDAH (Troubles du Déficit de l'Attention avec Hyperactivité). Après une longue période passée dans un centre spécialisé, Steve revient vivre chez sa mère, qui essaie tant bien que mal de gérer les difficultés du quotidien et les crises violentes d'un Steve aussi attachant qu'infernal. Le duo mère-fils est bientôt enrichi de la présence de leur voisine, Kyla (Suzanne Clément), une femme timide et réservée qui va apporter un certain équilibre à Steve et Diane tout en s'épanouissant à leur contact...

Diane Després, la mère de Steve

C'est donc l'histoire de ce trio d'abîmés que raconte Xavier Dolan. Diane, la mère fantasque, perchée sur des talons de 15 cm et moulée dans des jeans d'adolescente, superficielle et paumée, rigolote et touchante. Steve, qui oscille entre la naïveté de l'enfance et la maturité de l'âge adulte, qui aime sa mère d'un amour absolu, presque incestueux, mais ne parvient pas à contrôler son comportement agressif et imprévisible. Et Kyla, quasiment incapable de formuler une phrase sans bégayer, et que l'on voit s'ouvrir peu à peu entourée de ses voisins hauts en couleur.

Steve Després

Non seulement le scénario de Mommy est magnifique et bouleversant (et parvient à nous faire passer régulièrement du rire aux larmes), mais il est servi par des images grandioses. Le film frappe tout d'abord par son ratio d'image pour le moins original : Dolan a choisi de filmer son œuvre en format 1:1, soit une image carrée (par opposition au traditionnel 16:9). S'il peut paraître déroutant au début, ce format s'impose rapidement comme une évidence. Il permet de se concentrer exclusivement sur les visages, effaçant de notre champ de vision toute distraction périphérique. Quoi de mieux pour un film centré entièrement sur la psychologie et le développement de ses personnages principaux ? 

Mais le format carré n'est pas seulement un exercice de style. Dolan se sert du cadrage lui-même pour raconter son histoire. En effet, il va jusqu'à agrandir l'écran (pour atteindre un ratio 16:9) à certains moments du film, signifiant ainsi le bonheur et la liberté qu'acquiert – provisoirement – le jeune Steve. Vue sur un grand écran de cinéma, la scène où Steve repousse littéralement les bords noirs du cadre et où l'image, libérée, prend pleine possession de l'écran pour la première fois, est simplement éblouissante.
 
Steve, sur son skate-board, s'approche de la caméra
et repousse de ses mains les limites de l'écran.

La photographie du film est très belle, elle aussi, pleine de couleurs et de lumières vives, de visages en très gros plans et de cadrages fort bien trouvés (à l'instar de celui où Steve, à la fin du film, téléphone à sa mère, et où le passage d'un très gros plan à un plan plus large révèle la triste réalité), de ralentis (une spécialité du cinéma de Dolan) et de flous quasi-abstraits (voir notamment la magnifique séquence de "flash-forward" vers la fin du film). Visuellement, Mommy est une réussite à chaque minute.

Côté casting, le film révèle des acteurs excellents, attachants au possible et bouleversants de justesse. Xavier Dolan a offert les rôles principaux de son film à ses acteurs fétiches (tous trois ont déjà tourné avec Dolan dans ses longs-métrages précédents), qui s'expriment avec beaucoup de naturel dans un jargon québécois totalement incompréhensible pour les Français (les sous-titres sont indispensables). Steve, en particulier, orne chacune de ses phrases d'une quantité astronomique de "tabarnac", de "criss", de "câlice" et de "ostie", équivalents du classique "fuck" anglophone. Antoine Olivier Pilon, Anne Dorval et Suzanne Clément offrent tous trois une performance riche en nuances et très touchante – dans le bruit et l'extravagance pour les deux premiers, dans le silence et la retenue pour la troisième. Les acteurs secondaires qui viennent interagir avec les trois héros interprètent eux aussi parfaitement leur rôle.

Kyla, la voisine de Steve et Diane

L'un des aspects de Mommy qui m'a particulièrement plu est sa bande originale. C'est là que je me souviens que Xavier Dolan est de la même génération que moi : chaque chanson utilisée dans le film est un titre des années 1990-2000, et tous sans exception m'ont rappelé mon enfance et mon adolescence. De White Flag de Dido à Blue de Eiffel 65, de Wonderwall de Oasis à Welcome to my Life de Simple Plan, en passant par Counting Crows ou Andrea Bocelli... Que de souvenirs ! Dolan redore également le blason du "trésor national" (dixit Steve) du Québec : Céline Dion, dans l'une des plus belles scènes du film, où Diane, Kyla et Steve (maquillé en femme pour l'occasion) chantent et dansent sur On ne change pas dans la cuisine de leur petit appartement. Le restant de la bande originale est composé de titres plus récents (le final du film, sur les premières notes de Born to Die de Lana Del Rey, est sublime) ou de compositions originales (le morceau Experience de Ludovico Einaudi, qui illustre la scène de "flash-forward" mentionnée ci-dessus, a réussi à m'arracher ces larmes que je verse si rarement au cinéma).

Steve chante Vivo Per Lei de Andrea Bocelli au karaoké

Je ne peux donc que conseiller fortement ce film magnifique tant sur la forme que sur le propos. Mommy est un grand moment de cinéma, un concentré d'émotions intenses, sans jamais tomber dans le pathos ou la surenchère dramatique ; un film original, unique, qui restera dans l'esprit du spectateur longtemps après le générique de fin. Xavier Dolan est sans aucun doute un réalisateur à suivre...

3 décembre 2014

Martyrs


Réalisateur : Pascal Laugier
Avec : Mylène Jampanoï, Morjana Alaoui, Catherine Bégin...
Date de sortie : 2008
Pays : France / Québec
Note :

"Les martyrs sont des gens exceptionnels. Ils survivent à la douleur. 
Ils survivent à la privation la plus totale. Ils portent tous les péchés de la terre."

Avertissement : Les images et les propos constituant cette critique sont susceptibles de heurter la sensibilité de certains.

Il y a un certain temps que j'avais envie de rédiger une critique sur Martyrs, de Pascal Laugier. Mais je n'ai pas pu m'y résoudre jusqu'à présent, pour la bonne et simple raison que je ne voulais même pas relire le synopsis du film, ou repenser à ces images que j'aurais préféré ne jamais avoir vues. Voilà ce qu'est Martyrs pour moi : le seul film au monde que je regrette sincèrement d'avoir regardé, et l'un des très rares films où j'ai été obligée de détourner le regard, et de regarder (à moitié) certaines scènes en avance rapide. (Et je parle en tant que grande fan de cinéma d'horreur, habituée au gore et aux films qui dérangent. Donnez-moi du Hostel ou du Human Centipede sans problème. Mais Martyrs, non.)

C'est la raison pour laquelle vous ne trouverez pas dans cette critique les habituelles captures d'écran effectuées par mes soins, mais seulement les images plus ou moins "officielles" du film : je suis incapable de revoir ne serait-ce qu'une scène du film pour vous choisir des images, et je n'ose même pas taper "Martyrs" dans Google Images. J'ai trop peur de tomber sur certaines images que je n'ai aucune envie de revoir. (Et je n'exagère même pas.)

Alors, maintenant que je vous ai tous fait peur... De quoi ça parle ? C'est l'histoire de Lucie (Mylène Jampanoï) et Anna (Morjana Alaoui), deux jeunes femmes qui ont fait connaissance à l'orphelinat où elles ont grandi. Durant son enfance, Lucie a subi de graves sévices physiques et psychologiques aux mains d'un groupe de tortionnaires, avant de réussir à s'échapper. Devenue adulte, elle retrouve par hasard ceux qui l'ont maltraitée des années auparavant. Armée d'un fusil de chasse, elle se rend donc à leur domicile et les tue de sang-froid (mari, femme, et deux enfants). Après quoi elle appelle Anna à la rescousse pour l'aider à enterrer les corps. Mais Anna, bientôt livrée à elle-même, découvre que le cave de la maison abrite un culte secret de "martyrs" : dirigés par une vieille femme appelée Mademoiselle (Catherine Bégin), le groupe emprisonne et torture de jeunes femmes pour tenter de les mener jusqu'à la frontière de la vie et de la mort, dans un état d'"extase" qui leur permet de voir l'au-delà...

Lucie se demandant ce qu'elle est venue faire dans cette galère...

Voilà pour le scénario. En pratique, qu'est-ce que ça donne ? Du sang, du sang, du sang, de la violence, du sang. Pendant 1h40 non-stop. Avouez que ça fait long... Je n'arrive pas très bien à comprendre comment certains critiques peuvent nier le fait que Martyrs appartient au genre du "torture porn" (ces films comme la série Saw dont les scènes de torture et de gore extrême sont le seul prétexte, pour le plus grand plaisir (tordu) de certains spectateurs...). La torture et les sévices en tous genre sont omniprésents dans le film, au point qu'on en fait une réelle overdose. 

Depuis le début du film, nous voyons Lucie poursuivie par une sorte de créature Gollum-esque (en réalité une manifestation imaginaire de son subconscient), qui l'attaque, la taillade, la torture, nous offrant une bonne dose d'hémoglobine absolument pas nécessaire (on n'avait pas besoin de ça pour comprendre que Lucie était une espèce de psychopathe hautement perturbée...). Le meurtre de la famille à coup de fusil fait lui aussi gicler la cervelle au plafond. Puis vient la découverte des activités de la "secte" par Anna, et c'est là que Martyrs atteint un degré simplement insoutenable pour la pauvre spectatrice déjà écœurée que j'étais. On bat, on humilie, on torture – passe encore, ce sont presque des  "classiques" du film de genre. Mais voir Anna arracher des clous métalliques vissés dans le crâne d'une autre jeune femme, non. Voir Anna se faire écorcher vive des pieds à la tête (et survivre à l'intervention), certainement pas.

Anna, prisonnière par les membres du "culte"

Martyrs est-il le film le plus gore qu'il me soit arrivé de voir ? Peut-être pas. Mais le plus dérangeant, le plus insupportable ? Sans le moindre doute. Je serais incapable de décrire exactement pourquoi le film m'a atteinte à ce point ; quelque chose dans l'ambiance, dans le propos du réalisateur, m'a profondément perturbée. Je suis capable de supporter beaucoup de choses dans le cinéma d'horreur, mais là, décidément, c'est un visionnage dont je me serais bien passée.

Au niveau visuel, pas grand-chose à dire – la photographie du film est glauque, grisâtre, "sale", en adéquation avec l'histoire qu'il raconte. Le jeu des actrices est, à mon avis, loin d'être excellent, les deux jeunes femmes manquant parfois beaucoup de naturel (eh oui, pas si facile de hurler ou de pleurer pendant la totalité du film...). On s'identifie difficilement à leur personnages, et je n'ai pas réussi à éprouver une once d'empathie pour Anna et Lucie, au point de ne pas accorder d'importance à leur triste destinée.

Mademoiselle, le "gourou" de la secte

À sa sortie, Martyrs a reçu en France une interdiction aux moins de 18 ans, un rating extrêmement rare pour un film appartenant à un autre genre que la pornographie hardcore. Présenté en 2008 au Festival de Cannes, le film a suscité des réactions qui en disent long : de nombreux spectateurs sont sortis de la salle en cours de projection, et certains – selon la rumeur – auraient vomi, fondu en larmes ou fait un malaise. Et je les comprends. Moi aussi, le film a bien failli me rendre malade, littéralement : j'ai dû le mettre en pause pour me lever brusquement et me demander si j'allais devoir courir aux toilettes pour vomir. (C'était une très mauvaise idée que de regarder Martyrs en prenant mon déjeuner.)

Par conséquent, Martyrs est un film que je déconseille fortement. Certains y ont vu une œuvre d'art originale et efficace, film phare du sous-genre résolument choquant et transgressif  "New French Extremism" (en compagnie de films comme À l'Intérieur, Haute Tension ou Irréversible – dont aucun ne m'a fait l'effet de Martyrs). Je n'y ai vu qu'une accumulation de violence sanglante et malsaine, qui me font m'interroger sérieusement sur la santé mentale de M. Pascal Laugier.